UNE PASSION DE CHATS
Un jour un chat de la ruelle passa par là nonchalamment
Il fallait lui voir les prunelles, les vibrisses et les dents
Il souriait j’en suis certaine, mais il n’avait d’yeux que pour
Elle, c’était notre pure laine, une persane évidemment…
Elle l’aguichait, indépendante, levait la patte pour lui faire signe
Puis se retournait déroutante, l’air de dire « bâtard tu es indigne »,
Il l’épiait mine de rien, la queue mue de frémissements
Il s’approcha très doucement, pour humer ses effluves sous le vent…
Elle s’installa pompeusement, lécha sa fourrure, tira ses griffes
Pour bien montrer à l’intriguant que la beauté a ses délices
Et la saleté ses relents, dans le jardin elle était reine,
Et lui pauvre hère ignorant roulait des yeux en soupirant…
Il se tenait près du portail n’osant faire un pas en avant
Se contentant de la regarder faire sa toilette,
Après deux heures de ce manège il disparut subrepticement,
J’ai cru qu’elle perdait la tête quand tout à coup sans crier gare
Elle bondit hors du jardin pour suivre le bel insolent sans l’ombre d’une
hésitation…
Elle avait largué les amarres et avait choisi la passion….
Auteur inconnu
Le chat
L'homme voudrait être poisson et oiseau,
Le serpent voudrait avoir des ailes,
Le chien est un lion désorienté,
L'ingénieur veut être poète,
La mouche étudie pour devenir hirondelle,
Le poète essaie d'imiter la mouche,
Mais le chat,
Ne veut être que le chat,
Et chaque chat est chat,
De la tête à la queue.
(Pablo Neruda)
LE CHAT
Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là
son charme et son secret.
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-être est-il fée, est-il dieu?
Charles BAUDELAIRE
Quand on est chat
Quand on est chat on est pas vache
on ne regarde pas passer les trains
en mâchant des pâquerettes avec entrain
on reste derrière ses moustaches
Quand on est chat on est pas chien
on ne lèche pas les vilains moches
parce qu'ils ont du sucre plein les poches
on ne brûle pas d'amour pour son prochain
On passe l'hiver sur le radiateur
à se chauffer doucement la fourrure
au printemps on monte sur les toits
pour faire taire les sales oiseaux
On est celui qui s'en va tout seul
et pour qui tous les chemins se valent
Quand on est chat, on est chat.
( Jacques Roubaud )
La java des pussy-cats
Sur un vieux toit en zingue



PASSAGE DE CHAT
Je me croyais tout seul en mon appartement,
Sur mes vers enrayés penchant ma tête lasse;
Je ne sais quelle voix me dit subitement :
« Regarde à ton côté, voici le chat qui passe! »
C'est lui! c'est bien mon chat, marchant sans plus de bruit
Qu'un flocon se posant à terre sur la neige;
J'ignore près de moi quel dessein l'a conduit,
Mais j'éprouve déjà que mon ennui s'allège.
A cette heure, sans lui je ne soupçonnais pas
Combien ma solitude était douce et paisible :
Du plancher qu'il traverse on dirait que ses pas
Dégagent le Silence et le rendent visible.
Son corps ondule ainsi qu'une suite de flots,
Et sa queue après lui traîne et lui fait escorte;
Ma lampe a sous son front allumé deux falots,
Puis il a disparu dans l'ombre de la porte.
Mais l'unique regard de ce spectre aux yeux verts
A vaincu la torpeur où sommeillait ma verve,
Et je croirai demain, ayant fini mes vers,
Qu'en songe cette nuit j'ai vu passer Minerve.
ALFRED RUFFIN

Non moins furtif que l'aube aventurière,
Non moins silencieux que le miroir,
Tu passes et je pense apercevoir
Sous la lune équivoque une panthère.
Par quelque obscur et souverain décret
Nous te cherchons. Nous voulons, fauve étrange
Plus lointain qu'un couchant ou que le Gange,
Forcer ta solitude et ton secret.
Ton dos veut bien prolonger ma caresse;
Il est écrit dans ton éternité
Que s'accordent à ta frileuse paresse
Ma main et son amour inquiété,
Ton temps échappe à la mesure humaine.
Clos comme un rêve est ton domaine.
JOSE LUIS BORGES
